La Baule+

Loïk Le Floch-Prigent : « Il faut arrêter le programme d’éoliennes en mer en France. » Loïk Le Floch-Prigent est ingénieur et il a été à la tête des plus grandes entreprises françaises. Ancien militant socialiste et proche de François Mitterrand pendant vingt ans, ce polytechnicien a notamment été PDG de Rhône-Poulenc, président de la SNCF, président de Gaz de France et PDG d’Elf Aquitaine. Il réagit au projet du gouvernement d’étendre le parc éolien en mer de Saint-Nazaire avec le quasi-doublement de la surface actuelle. Énergie ► L’ingénieur et ancien capitaine d’industrie affirme que l’installation de nouvelles éoliennes en mer est inutile La Baule+ : Le conflit entre l’Ukraine et la Russie est-il responsable de la hausse des prix de l’énergie ? Ou cette augmentation estelle imputable à notre objectif passé de moins dépendre du nucléaire? Cet hiver, contrairement à celui de 20222023, la tension semblait moindre : quelle est votre analyse ? Loïk Le Floch-Prigent: Il y a différents sujets. D’abord, il y a une volonté d’un certain nombre de pays de multiplier les installations d’énergies renouvelables, à savoir les éoliennes et le solaire. Ces énergies ont la caractéristique d’être intermittentes en ce qui concerne le solaire, et intermittentes et aléatoires en ce qui concerne les éoliennes. Aussi, elles ne peuvent donner de l’énergie que dans la mesure où le consommateur accepte cette intermittence et il faut aussi que cette énergie soit complétée à hauteur de 75 % par de l’énergie fossile, essentiellement le gaz et le charbon. Il y a eu en conséquence une augmentation du prix du gaz au cours de ces cinq dernières années et cela n’avait rien à voir avec le conflit entre la Russie et l’Ukraine. Lorsque le conflit a éclaté, le prix du gaz avait déjà augmenté, conduisant à une augmentation du prix de l’électricité. En France, l’électricité avait un prix correspondant à un coût bas, d’autant que nous complétons cette électricité beaucoup plus par de l’hydraulique que par autre chose. Donc, nous avions un parc qui pouvait donner 75 % d’électricité d’origine nucléaire et 12 % d’énergie d’origine hydraulique. Les pics de consommation venaient de centrales thermiques, à savoir charbon, gaz et fioul. Voilà quelle était la situation au moment du début du conflit entre la Russie et l’Ukraine. Les pays européens ont demandé des sanctions contre la Russie, mais l’Allemagne, qui a énormément d’énergie éolienne, est tributaire du prix du gaz au point que si jamais le gaz augmente de manière importante, le prix de l’électricité augmente aussi de façon très importante. En 2010, la France a accepté, pour des raisons de politique communautaire, qu’une partie de son électricité nucléaire soit vendue à des fournisseurs qui ne produisent rien, qui ne distribuent rien et qui ne transportent rien. Ils ont pris une partie du marché avec une énergie qu’ils ne produisent pas. Tout cela a conduit à l’élaboration d’un marché complètement artificiel, le marché européen de l’électricité, puisque les véritables coûts de l’éolien et du solaire ne sont pas pris en compte. Le coût réel des fournisseurs n’est pas pris en compte non plus. Nous nous sommes retrouvés avec des prix extrêmement élevés de l’électricité en France, alors que nous avions l’électricité la moins chère d’Europe Dans ce marché, on a considéré que le prix, à un instant donné, est celui du dernier électron produit. Or, pendant la période qui a suivi les sanctions, le dernier électron produit était celui d’une centrale à gaz allemande. Nous nous sommes retrouvés avec des prix extrêmement élevés de l’électricité en France, alors que nous avions l’électricité la moins chère d’Europe, sinon la moins chère du globe, grâce à notre énergie nucléaire. J’ai demandé que nous quittions le marché européen de l’électricité pour retrouver une situation claire, avec un marché directement lié à la production que nous avons. Grossièrement, c’était la moitié du prix que payaient autrefois les Allemands. On a dû mettre un amortisseur pour les particuliers, afin que les particuliers continuent de voter pour le gouvernement... Mais le gouvernement a refusé votre proposition, par idéologie européiste… Nous avons eu des prix de l’électricité qui ont augmenté à cause de ce dernier électron. Donc, on a dû mettre un amortisseur pour les particuliers, afin que les particuliers continuent de voter pour le gouvernement... En ce qui concerne les entreprises, il n’y a pas eu d’amortisseur et le prix a été multiplié par six ou sept. C’est ce qui explique que certains boulangers se soient retrouvés en redressement judiciaire… Effectivement. Le gouvernement a alors voulu ménager certains producteurs, quelques boulangers ou quelques bouchers, et l’on a essayé de répartir tout cela afin que quelques personnes soient contentes. Il n’en reste pas moins que notre industrie est pénalisée depuis trois ans par ces tarifs extrêmement élevés. Fin 2022, un certain nombre de contrats se sont éteints et la Commission de régulation de l’électricité a demandé aux industriels de signer des contrats jusqu’en 2025 pour que l’électricité ne soit pas coupée. La plupart des restaurateurs, des boulangers ou des petits industriels ont dû signer des contrats à des tarifs extrêmement élevés, entre 200 et 370 le mégawatt heure, au lieu de 50. Voilà ce qui s’est pasla baule+ 6 | Avril 2024

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