La Baule+

la baule+ Ces gens tentent-ils d’expliquer que ce contrôle de l’IA sera une sorte de vérité informatique absolue, en niant toute possibilité de débat ? À partir du moment où la machine a dit quelque chose, c’est vrai, c’est bien le fond de votre pensée. Sur des sujets très pointus, on peut imaginer cela. C’est plutôt une intelligence artificielle étroite, focalisée sur un domaine d’activité bien particulier, donc elle est imbattable pour traiter certains types de problèmes. Il y a tout un courant qui annonce que nous sommes à la fin de la science et que nous n’avons plus besoin des lois physiques et des lois mathématiques, car l’intelligence artificielle permettrait de se passer de l’élaboration des lois physiques. De la même façon, je n’en crois rien ! Ce sens critique, initié par Descartes, a été le rayonnement de la France La fin de la science a déjà commencé par l’abandon de la contradiction et du débat, car quiconque qui tente de combattre intellectuellement se fait traiter de complotiste… Absolument, alors que ce sens critique, initié par Descartes, a été le rayonnement de la France. J’ai retrouvé cette possibilité de débat avec ChatGPT en faisant un jeu de rôle. Par exemple, j’ai demandé à ChatGPT de s’exprimer au nom de trois personnages : Épicure, Spinoza et Kant. J’ai presque fait ressusciter ces trois personnages et je les ai retrouvés. J’ai aussi interrogé ChatGPT sur le problème de l’appartenance de la France à l’Union européenne, en lui demandant tous les arguments pour me convaincre que la France a tout à gagner à rester dans l’Union européenne, en utilisant son immense connaissance. Et c’est un débat qui a duré très longtemps… J’ai l’impression d’avoir réussi à lui faire accepter mes arguments. Par exemple, sur les subventions européennes, j’ai répondu que nous donnions beaucoup plus d’argent que nous n’en recevions et ChatGPT a répondu que j’avais raison… Idem pour d’autres arguments sur ce même sujet. ChatGPT a repris les arguments de jeunes diplômés de Sciences-Po ou de l’ENA, comme l’Europe c’est la prospérité En fait, vous avez enrichi la base d’argumentaires de ChatGPT qui a accepté vos réflexions, tout simplement parce que vous n’étiez pas en face d’un militant politique. Or, quand il ne peut pas répondre, quelqu’un qui espère faire carrière en politique se contente de taxer son interlocuteur de complotisme… Oui, mais ChatGPT a repris les arguments de jeunes diplômés de Sciences-Po ou de l’ENA, comme l’Europe c’est la prospérité, mais avec une certaine ouverture. L’intelligence artificielle est née en 1956, donc elle a une histoire mouvementée. Au départ, comme toute nouvelle discipline, il faut des investissements, donc convaincre des gouvernements. On a obtenu des résultats extraordinaires dès le début des années 60. Il y a eu un engouement, mais les résultats attendus n’étaient pas au rendez-vous. Alors, on est entré dans le premier hiver de l’intelligence artificielle. Dans les années 70, on ne faisait plus d’intelligence artificielle. Dès les années 50, on avait appelé cela l’intelligence artificielle. Les scientifiques disaient clairement qu’il s’agissait de créer des programmes permettant de résoudre des problèmes qui, habituellement, ne sont résolus que par des êtres humains. À l’époque, c’était des ordinateurs à tube, c’était vraiment impressionnant. Ensuite, il y a eu un renouveau dans les années 80, avec les systèmes experts, en intégrant de la connaissance. Avec cela on allait régler tous les problèmes, y compris dans le domaine médical... Donc, il y a eu des investissements. Derrière, on est retombé dans un deuxième hiver de l’intelligence artificielle. Ensuite, il y a eu un renouveau en 2012 avec l’explosion de l’apprentissage automatique, à partir des données, grâce à l’amélioration des algorithmes. Il est très coûteux d’entraîner un réseau de neurones, cela nécessite beaucoup de données, et l’utilisation des cartes graphiques a permis d’effectuer jusqu’à 1 000 milliards d’opérations à la seconde. Autre point : la disponibilité d’énormes quantités de données. Je me méfie de l’engouement actuel et j’espère que nous n’allons pas tomber dans un troisième hiver... Toute personne avide de pouvoir peut se servir de ces données : un dictateur peut entraîner des catastrophes humaines avec l’intelligence artificielle… On va repérer quelqu’un par ses fréquentations médiatiques, par sa consommation, grâce à sa carte bancaire, par la reconnaissance faciale… On le voit déjà avec le crédit social en Chine : c’est un modèle qui enthousiasme énormément de dirigeants politiques... On a confondu le bien et la valeur Le passe sanitaire étaitil déjà une première forme de crédit social ? Oui. Maintenant ce sera le passe carbone. Et nous n’en sommes qu’au début. On pouvait penser que les populations seraient rebelles face à cela, mais on a vu la docilité de la majorité des gens au moment de la crise sanitaire, jusqu’à l’acceptation de ne pas s’asseoir sur la plage, mais de rester en position debout… Je parle presque au nom de mon ami André Comte-Sponville, cela valait vraiment le coup de faire ce que Paul Valéry appelait un nettoyage de la situation verbale. On a confondu le bien et la valeur. À partir du moment où l’on a considéré que la santé était la valeur suprême, d’accord, il fallait protéger les plus fragiles, y compris les personnes âgées. Mais on a confondu une valeur et un bien. La santé est un bien, c’est le bien le plus important, mais ce n’est pas une valeur. Une valeur est admirable et estimable, alors que le bien est désirable et enviable. Par exemple, je ne vais pas admirer quelqu’un parce qu’il est plus riche que moi ou parce qu’il est en meilleure santé… Je vais admirer quelqu’un parce qu’il est plus courageux ou parce qu’il est plus aimant. En confondant les deux, on a abouti aux dérives que vous évoquez pendant la crise sanitaire. Revenons au passe climatique : on retrouve là encore les bons sentiments. D’ailleurs, dans l’histoire du monde, les plus grandes catastrophes se sont toujours produites au nom de bons sentiments… Exactement. On anticipe déjà les orientations futures. Sans vouloir polémiquer, avec le réchauffement climatique, quand il a fait chaud, on n’a pas parlé d’El Nino, parce que beaucoup de climatologues disaient plusieurs mois à l’avance qu’il y aurait des fluctuations avec des hausses et des baisses de température. Quand il a fait plus chaud dans les années précédentes, on disait que c’était dû à l’anticyclone des Açores. Cette année, on n’a plus parlé de l’anticyclone des Açores, mais d’un dôme de chaleur. C’est justement pour des choses sur lesquelles nous n’avons pas de certitudes, que l’on assiste au déploiement des plus grandes violences. Montaigne évoquait les gens que l’on mettait au bûcher parce qu’ils n’étaient pas de notre religion... Bizarrement, ce sont pour les choses sur lesquelles on a le moins de certitudes, que l’on va déployer les plus grands désastres. Propos recueillis par Yannick Urrien. 24 | Avril 2024 Robert Voyer: « Le crédit social en Chine : c’est un modèle qui enthousiasme énormément de dirigeants politiques...» Elle vit et chante près de vous !

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