la baule+ Mai 2024 | 37 des tsars, il se passait un certain temps avant que cela remonte à la cour de Louis XV. On envisageait le monde avec ce temps long. Donc, il ne fallait pas agir dans l’émotion. Aujourd’hui, on est dans le temps réel et, évidemment, cela change notre rapport à l’information. Vous avez travaillé sur la Révolution française, c’est toujours un sujet clivant en France… C’est pour cela que j’ai travaillé avec le prisme de plusieurs points de vue. Je viens de lire un livre formidable, « L’abolition des privilèges » de Bertrand Guillot, qui raconte la nuit du 4 août. Ni Danton, ni Robespierre, ni Diderot, n’étaient là. C’est vraiment le peuple qui a décidé l’abolition des privilèges. C’est vraiment le roman le plus objectif que j’aie lu sur cette période. Il ne va pas dans un sens ou dans l’autre, il fait preuve d’une nuance extraordinaire. C’est cette nuit du 4 août qui est racontée. On a décidé la fin de ce système féodal, Louis XVI n’y était pas totalement opposé, mais il était quand même attaché à ses privilèges et il a essayé d’ourdir dans l’ombre un plan avec l’Autriche et l’Espagne, parce qu’il sentait bien qu’il allait tout perdre. Mais ces gens défendaient leur caste. Maintenant, il n’est pas question d’être partisan sans nuances. Certains vous qualifient parfois de grande gueule, parce que vous détonez dans une société policée… Je ne suis pas vraiment une grande gueule. J’ai simplement une liberté de parole. Ce qui m’ennuie, dans le terme de grande gueule, c’est le fait de l’ouvrir pour tout et n’importe quoi. Donc, ce n’est pas moi. Je suis en dehors des réseaux sociaux Alors, utilisons le terme de franc-parler… Oui. Je suis en dehors des réseaux sociaux. Je ne suis pas sur Facebook, Instagram et X, donc je suis en marge des commentaires que l’on pourrait faire sur mes commentaires. J’apprends souvent par mes amis que l’on a dit ceci ou cela sur moi sur les réseaux. Comme je suis en marge de tout cela, je ne me sens pas obligé de réagir, ni même empêché de réagir. Je le fais quand j’en ai l’occasion et quand j’en ai envie. Je me moque des réactions sur Internet. Ce n’est pas par condescendance ou par mépris, mais simplement parce que je ne veux pas être englué dans des réponses permanentes. Par exemple, j’ai appris que j’ai eu un souci avec la communauté serbe en France, parce que j’avais dit que je n’aimais pas beaucoup une réaction de Djokovic sur un événement au Kosovo. Il semblerait que certains Serbes aient mal réagi à mes propos. Mais, comme je ne l’ai pas su, je n’ai pas réagi et cela s’est effacé tout seul… Si vous réagissez, vous créez une polémique. On vous demande de vous justifier, on est dans l’effet Streisand. Donc, je suis un peu préservé de tout cela. On pourrait croire que votre discours est générationnel, or on constate aussi cela chez beaucoup de jeunes qui sortent des réseaux sociaux… C’est vrai, on assiste à une lassitude des réseaux sociaux. Maintenant, il y a aussi des choses formidables, comme les lanceurs d’alerte. On pourrait évoquer Me too, c’est essentiel. Maintenant, il y a aussi des dérives toxiques. Je connais beaucoup de gens qui sont partis des réseaux sociaux, pas simplement dans mon milieu, parce qu’il n’y a plus de débats. Par exemple, Michel Cymes, qui est un ami, a décidé de partir. Au début de la Covid, il a eu une telle pression médiatique qu’il n’a pas eu le temps de prendre une réserve. Il s’est senti obligé de répondre et il est sans doute allé loin dans certaines analyses, sans avoir toutes les données. Ensuite, il s’est retrouvé pointé du doigt. C’est dommage. Maintenant, il faut faire preuve de prudence. D’ailleurs, l’unité nationale n’a-telle pas explosé à ce moment-là, lorsque les militants radicaux non vaccinés souhaitaient la mort des vaccinés pour prouver que le vaccin était un poison, tandis que les radicaux vaccinés souhaitaient celle des non-vaccinés afin de démontrer le contraire ? Le monde meurt de son manque de nuance. Nietzsche disait qu’il mourrait dans la nuance, alors qu’il n’était pas toujours nuancé, mais il avait conscience que la nuance était l’équilibre du monde. La radicalité, dans tous les domaines, y compris dans la culture, est stupide. Il faut faire preuve de nuance et de réserve, sauf si la personne attaquée développe des idées radicalement inhumaines et des valeurs indéfendables. Dès lors que c’est un sportif ou un artiste, même quelqu’un qui est contre les vaccins, il est effrayant de voir un tel déferlement de violence. Le monde meurt de son manque de nuance. Aujourd’hui, le débat s’est radicalisé et l’on doit être pour ou contre. C’est pénible, même pour des choses désinvoltes. Il y a aussi une échelle de valeurs très fluctuante et tout devient égalitaire dès lors qu’un média s’en empare. La radicalité n’est pas forcément synonyme d’extrémisme Vous évoquez la radicalité. On a tendance à l’associer à des opinions fortes, mais n’est-elle pas le fruit d’une forme d’« extrême centrisme » qui veut tout gommer, surtout sans choquer ? Et ce centrisme devient lui aussi radical... Le terme de radical a été galvaudé. Une époque, j’étais assez proche des radicaux-socialistes, comme Mendès-France ou Chirac, qui l’était certainement, contrairement à Macron qui est un libéral. Effectivement, vous avez raison, la radicalité n’est pas forcément synonyme d’extrémisme ou d’idées intolérantes. La radicalité, c’est aussi avoir le sentiment que l’on est en accord avec soimême. Une opinion radicale, ce n’est pas une opinion fermée. C’est une ligne de conduite qu’il faut suivre, tout en étant en accord avec soi-même, sans être imperméable aux idées extérieures. L’idée de la radicalité demande même une certaine souplesse. Donc, je suis d’accord avec vous. Propos recueillis par Yannick Urrien.
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