La Baule+

la baule+ 20 | Juin 2024 Gilles Cosson : « La Russie possède un élan mystique et brutal qu’un peuple tourné vers l’argent, la loi et le formalisme ne pourra jamais comprendre. » Gilles Cosson a écrit une vingtaine de livres s’intéressant à l’histoire intellectuelle et spirituelle d’un monde dont il a bien connu les aspects tant économiques que philosophiques. Dans sa première vie, Gilles Cosson a été membre du directoire de Paribas en charge des participations industrielles et président de Poliet (Point P, Lapeyre…). Dans son dernier ouvrage, il analyse l’histoire littéraire de la Russie pour nous permettre de mieux appréhender la mentalité de ce pays. « La Russie de demain : à la lumière de son histoire littéraire » de Gilles Cosson est publié aux Éditions de Paris Max Chaleil. Comprendre le monde ► Une analyse passionnante de l’histoire littéraire pour comprendre la mentalité russe La Baule+ : Vous rappelez que la Russie a conduit beaucoup de héros sur le chemin du sacrifice et d’écrivains sur le chemin de l’excellence. Est-ce ce qui caractérise cette Russie si particulière ? Gilles Cosson : La Russie a comme caractéristique d’avoir créé de très grands poètes et de très grands écrivains qui ont apporté une vision différente de notre rationalisme habituel. Mais, en même temps, elle a affirmé une façon d’être, qui est un étrange mélange entre un autoritarisme issu de la période tatare, obligeant à une fermeté très forte, pour éviter la dispersion des peuples, et, dans le même temps, une espèce de chaleur humaine, une vision du monde invisible, qui a toujours profondément inspiré l’âme russe. Pendant la période de liberté complète, ils ont eu beaucoup de mal à trouver leurs marques De quelle manière la société russe d’aujourd’hui est-elle le reflet de cette littérature passée ? C’est une question redoutable car dans l’histoire de la littérature russe, il y a toujours eu une très forte connexion entre les événements et la littérature. La littérature ayant un rôle assez singulier d’accompagnement, mais aussi de développement de nouvelles idées qui ont abouti au démembrement du tsarisme, puis au démembrement de l’URSS. Il est assez curieux de penser qu’après la période d’Eltsine, qui était une période de liberté très inhabituelle en Russie, les Russes se sont sentis plutôt malheureux, comme l’explique très bien Svetlana Alexievitch dans « La fin de l’homme rouge ». Ils ont cherché à se rassurer en se rapprochant d’un homme qui allait incarner une autorité forte. Ce fut une période très ambiguë. Pour les auteurs, pendant la période de liberté complète, ils ont eu beaucoup de mal à trouver leurs marques. Mais lorsque l’autoritarisme traditionnel s’est affirmé sous Poutine, ils ont compris qu’ils ne pouvaient plus dire n’importe quoi et ils se sont beaucoup réfugiés dans une littérature de fiction, ou de science-fiction, pour exprimer des opinions différentes de celles de la norme. Peut-on établir un parallèle avec les Fables de La Fontaine ? C’est une très bonne comparaison. Il est vrai que La Fontaine avait utilisé la fable pour stigmatiser ce qu’il ne pouvait pas stigmatiser officiellement, et, en même temps, il a rendu hommage aux simples et aux honnêtes gens. Dans le livre « Sakhaline », l’auteur Édouard Verkine se transforme en un critique souterrain puisqu’il fait de cette île russe, une île japonaise. Dans cette île japonaise, il fait vivre des bagnards, sous la férule d’un homme insupportable, et l’on retrouve cette critique de l’autoritarisme russe, pourtant nécessaire. C’est là que les choses deviennent très difficiles, car il ne faut pas oublier que l’empire russe est formé de multiples nationalités, de multiples religions, et qu’il a survécu à l’épisode tatar. Pour surmonter ce risque de divisions, il a toujours fallu un tsar autoritaire, et maintenant Poutine est de plus en plus autoritaire. Cette critique que l’on retrouve dans la littérature russe s’exerce aussi avec énormément de patriotisme, alors qu’en France, lorsque les gens ne sont pas contents, ils disent souvent qu’ils ne se sentent plus Français… Par exemple, Pouchkine explique que pour rien au monde, il n’aurait voulu changer de patrie… Il y a une symétrie assez intéressante avec la France. La France est un pays très centralisé, issu de la royauté absolue, puis du jacobinisme, qui a réussi à éliminer toutes les langues locales. En Russie, c’est la même chose.

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