La Baule+

la baule+ Octobre 2022 // 17 Alors, Pierre Bergé a vu mon départ comme une trahison. Ce livre est là pour les remercier et transmettre ce que j’ai eu la chance de connaître et de vivre, le plus beau, avec des zones d’ombre, des choses parfois pas très exemplaires. Mais j’ai eu tant de chance de connaître cette vie, que je suis heureux de la transmettre au plus grand nombre. Je me libérais d’une certaine manière, je les voyais vieillissants. Alain Minc m’avait dit que Pierre était une mante religieuse et que je devais être prudent… Il y a eu plusieurs films sur la vie d’Yves SaintLaurent : qu’avez-vous pensé de ces biopics ? Ces films ont été réalisés par des gens de talent, mais qui n’ont pas connu Yves SaintLaurent et Pierre Bergé. C’est pour cela que je suis très attaché, même si j’ai un parti pris, au documentaire Célébration, réalisé par mon conjoint à la demande de Pierre Bergé, qui a été tourné pendant plus de deux ans auprès d’eux. Mais les deux films sont intéressants parce que, quand on devient un personnage mythique, il est naturel que l’on s’empare de ces personnages et que l’on raconte leur histoire comme on le souhaite, avec liberté, même avec une erreur d’appréciation romanesque… Gaspard Ulliel m’a beaucoup surpris, parce que j’ai trouvé qu’il était très étonnant dans la peau d’Yves Saint-Laurent, très crédible et très proche, même si Pierre Niney était aussi un excellent acteur. Vous avez vécu tous les combats pour la dépénalisation de l’homosexualité : que pensez-vous du wokisme et de cette culture de la culpabilisation ? Je suis inquiet. Nous étions très nombreux à mener ce combat dans les années Sida en nous inspirant du combat des femmes, ou du combat des noirs, de tous les mouvements de libération. Mais ce n’était pas pour segmenter la société et faire des groupes. Je n’aime pas que l’on me réduise à une lettre de l’alphabet… LGBTQ… C’est QQ maintenant ! Bien sûr, la parole libérée est absolument nécessaire. Ce n’était pas très drôle, quand j’étais adolescent, d’avoir ce regard des autres et que l’on m’imposait la virilité de mes cousins ou de mes oncles. J’ai vécu le patriarcat, pas pour en faire un reproche permanent, mais pour en faire une force. Je le vois avec mes enfants. Nous sommes une famille de femmes, d’hommes et d’enfants, chacun est ce qu’il est, mais nous ne voulons pas d’une société fragmentée. Nous sommes attachés à la devise de la République, la liberté, l’égalité, la fraternité. Donc, nous sommes attachés à l’État de droit. Il faut donner des moyens à la justice, mais n’accusons pas à tort et à travers et ne nous mêlons pas des affaires que nous ne connaissons pas. Je suis en effet inquiet, parce que l’on accuse facilement le voisin ou la voisine et cela rappelle des heures sombres qui étaient celles où l’on accusait son voisin parce qu’il était juif, parce qu’il était tzigane, ou parce qu’il était homosexuel... Et l’on sait où cela mène. Réapprenons les leçons de l’histoire et demandons à la représentation nationale d’être un peu plus sérieuse. Propos recueillis par Yannick Urrien.

RkJQdWJsaXNoZXIy MTEyOTQ2