La Baule+

la baule+ 4 // Mars 2022 Géopolitique ► L’historien avait prévu la guerre entre la Russie et l’Ukraine, et ce n’est qu’un début… Philippe Fabry : « C’est une nouvelle guerre mondiale qui commence en 2022. » Le premier livre de Philippe Fabry « Rome : du libéralisme au socialisme » avait fait beaucoup de bruit. Dans ce livre, il dressait un parallèle entre la chute de l’Empire romain et la chute de l’Occident, en montrant que le passage d’une pratique libérale à un socialisme totalitaire sous l’Empire est la clef permettant d’expliquer l’une des grandes énigmes de l’Histoire : la chute de Rome. Philippe Fabry a également publié « Histoire du siècle à venir » en 2015 et un « Atlas des guerres à venir » en 2017. Philippe Fabry a été le seul historien à prédire précisément ce qui se passe aujourd’hui avec la Russie, mais il avait annoncé ces événements pour 2019. La Baule + : Vous avez été le seul, il y a cinq ans, à affirmer que la Grande Guerre du XXIe siècle viendrait de la Russie. Vous n’êtes pas un médium, mais vous faites de l’historionomie. Qu’est-ce que cela signifie ? Philippe Fabry : C’est une discipline que je développe depuis vingt ans, après avoir constaté qu’il y avait des récurrences dans les schémas historiques et que l’on pouvait travailler par comparatisme. On peut donc travailler sur ce matériau qu’est l’histoire, dont Cet entretien avec Philippe Fabry a été réalisé mardi 22 février avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie. on a plus de quantités qu’à n’importe quelle époque de l’humanité, puisque les deux derniers siècles ont permis de dégager des masses de données prodigieuses. On a découvert des civilisations incroyables. Tout cela constitue une base de données et j’ai fait ce que l’on fait classiquement en sciences : c’est-à-dire analyser les phénomènes récurrents, ensuite isoler des variables, donc voir les chaînes de causalité, comme dans la science normale. Souvent, les historiens, quand ils cherchent des causalités, essayent de décrire les causes les plus certaines, mais sans avoir des points de comparaison. Donc, il est très compliqué de démontrer ce que l’on veut dire. J’essaie d’isoler les variables et, sur cette base, on peut créer un certain nombre de modèles qui permettent de savoir comment vont se dénouer certaines situations actuelles, ce qui permet de faire de la prévision géostratégique. En faisant cette démarche, je me suis aperçu que la Russie de Vladimir Poutine était dans une trajectoire d’impérialisme revanchard, que la France a connue entre 1715 et 1815, ou que l’Allemagne a connue entre 1870 et 1945. Je pourrais multiplier de tels exemples. Donc, cela me permettait d’affirmer qu’il y aurait un impérialisme russe qui se manifesterait et que nous étions dans les prémisses d’une dynamique. Certaines grandes agences de renseignements pratiquent-elles l’historionomie, sans appeler cela ainsi, mais avec une méthode proche de la vôtre ? Pas que je sache. Je sais que la DARPA (Defense Advanced Research Projects Agency), aux États-Unis, essaye de faire des prévisions en utilisant l’intelligence artificielle, mais je ne crois pas que des gens aient développé des modèles comme le mien, en tout cas pas au niveau. Donc, ils ne peuvent pas faire des projections avec une précision de l’ampleur des miennes. Est-ce votre méthode qui vous a permis de faire un parallèle entre la chute de l’Empire romain et ce que vit actuellement l’Occident ? Oui. Quand j’ai commencé à travailler, ce n’était pas du tout sur la Russie ou les conflits mondiaux. C’était sur l’évolution des civilisations, en faisant un parallèle entre la Grèce antique et l’Europe moderne, mais aussi avec la Rome antique et l’Amérique moderne. C’est le parallèle entre la Rome antique et l’Amérique moderne qui m’a amené à faire cette réflexion sur Rome et le livre du libéralisme au socialisme. Après, je suis arrivé à des schémas plus courts. Mes premiers modèles se faisaient sur de grands mouvements, qui durent plus d’un millénaire, mais maintenant je suis sur une base de travail plus courte. Beaucoup de gens apprécient vos travaux sur l’islamo-gauchisme, partagent cette vision de déclin de l’Occident et estiment que le renouveau se situe à l’Est, et il y a une catégorie de la population que l’on peut qualifier de poutinôlatre. Que leur ditesvous ? Ce sont des conservateurs et ils tombent exactement dans le même travers qui a fait voir à des conservateurs, lors de la première moitié du XXe siècle, d’un bon œil le mouvement fasciste et national-socialiste, avant qu’ils soient dans leur démarche la plus criminelle. Par cette complaisance, ils ont ensuite porté beaucoup de tort au camp conservateur parce que, lorsque ces régimes ont montré la réalité de leur nature, cela a discrédité durablement les conservateurs qui ont toujours été assimilés au fascisme ou au nazisme. Les mêmes causes reproduisent donc les mêmes effets… C’est un travers et c’est pour cette raison que j’avertis le milieu conservateur, avec peu de succès visiblement... Mais je leur dis : « Si vous voulez être discrédités pendant cinquante ans parce que vous avez encouragé ce qui risque d’être l’exemple à ne pas suivre au cours des cinquante prochaines années, continuez comme ça… » C’est très intéressant, parce que ces conservateurs vont vous sortir les fameuses photos d’Emmanuel Macron à l’Élysée le 14 juillet. Ils vont évoquer le déclin économique de notre pays, le recul de la balance commerciale, la jeunesse qui ne sait plus lire ou écrire convenablement... Et ces gens vont vous accuser de vouloir défendre ce modèle… Je connais cet argument. Ce que je voudrais, c’est que l’on

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