La Baule+

la baule+ 10 // Mars 2022 La Baule + : Pourquoi avez-vous choisi ce terme de paria pour votre dernier livre ? Ivan Rioufol : Ce terme s’est imposé. Naturellement, il y a pire comme vie de paria que la mienne, mais j’ai pris ce terme en fonction de la déclaration d’Emmanuel Macron du 12 juillet dernier qui nous a fait comprendre que ceux qui n’acceptaient pas le passe sanitaire étaient exclus d’un certain nombre de lieux publics : donc ils étaient considérés comme des indésirables, c’est-à-dire des sous-citoyens. Ce sont des citoyens qui payent des impôts comme tout le monde mais, parce qu’ils ne se plient pas à l’ordre hygiéniste, ils sont exclus des lieux anodins, comme les restaurants, les bistrots, les cinémas ou les théâtres. J’ai trouvé que cette ségrégation sanitaire était inadmissible et j’ai refusé de me plier à cet ordre. Je me suis donc mis dans une Société ► Le journaliste et polémiste dénonce la peur entretenue par nos gouvernants Ivan Rioufol : « Nous avons vécu un basculement civilisationnel dans l’indifférence générale. » Ivan Rioufol est journaliste, écrivain et polémiste. Son blocnotes du Figaro reste l’une des rubriques favorites des lecteurs du quotidien. Pour la première fois depuis 2002, ses chroniques ont une continuité thématique sur deux ans, lorsqu’il retrace, semaine après semaine, les errances et l’amateurisme de nos dirigeants face à la pandémie. Dans son dernier livre, il revient ainsi sur les déclarations péremptoires et pleines d’assurance du président et de ses ministres : « On ne fermera pas les frontières, ça n’aurait pas de sens » disait Olivier Véran, « Tout le monde ne portera pas de masque en France » enchaînait Sibeth Ndiaye, à quoi répondait la fermeté du Président : « Le passe sanitaire ne sera jamais un droit d’accès qui différencie les Français ». Ces chroniques constituent, selon Ivan Rioufol, le verbatim de l’effondrement progressif des libertés et la mémoire de ce que nous avons subi, depuis l’interdiction faite aux familles d’accompagner leurs proches mourants, jusqu’à celle pour les médecins de traiter la maladie. « Journal d’un paria » d’Ivan Rioufol est publié aux Éditions L’Artilleur. position très inconfortable de paria. Ensuite, j’ai entendu le président de la République dire qu’il avait envie de nous emmerder, en accentuant le mépris et l’arrogance, afin de nous faire plier l’échine. Mon caractère ne se prête pas à ça. J’avais pointé cette instrumentalisation de la peur Vous analysez aussi cette politique anxiogène en rappelant que la majorité ne vit qu’en nous faisant peur, entre le réchauffement climatique, le populisme et le sanitaire. En additionnant ces éléments, vous estimez qu’il y a une cohérence politique dans cette démarche… J’avais effectivement décrit cette fabrique de la peur dans un précédent livre, bien avant la crise sanitaire, et j’avais pointé cette instrumentalisation de la peur par le pouvoir en place. Déjà, par des détournements d’images, notamment sur le réchauffement climatique, avec la forêt amazonienne qui flambait ou par la dramatisation de la montée du populisme, en laissant croire que derrière il y aurait un nouveau fascisme. Il y avait là une sorte d’instrumentalisation d’une peur fictive, mais aussi une infantilisation de l’électorat, dans le but de dépolitiser les grands sujets. L’idée étant de feindre un état protecteur vis-à-vis du climat, du populisme, aujourd’hui d’un virus, pour chasser du discours commun tous les grands sujets existentiels face auxquels le pouvoir actuel n’a pas de réponse. Je pense aux problèmes liés à la sécurité, au communautarisme, ou à la fragilité de la cohésion nationale. Encore aujourd’hui, il est très compliqué pour les candidats à l’élection présidentielle de poser ces problèmes, parce qu’on leur répond systématiquement que ce sont des populistes infréquentables. On doit concentrer le débat sur des problèmes accessoires, comme la santé ou le réchauffement climatique. Ce livre vise aussi à prendre date, en consignant ce qu’ils ont fait et ce qu’ils ont dit, comme un témoin qui s’adresse aux générations futures… Je fais des essais et je publie très régulièrement, sous forme de livre, le bloc-notes que je rédige chaque vendredi dans Le Figaro depuis maintenant vingt ans. Je ne change pas une virgule de ce que j’ai pu écrire auparavant et il est intéressant de relire cela dix ou vingt ans plus tard pour savoir si mes analyses sont bonnes ou non. Je prends le risque de publier cela, donc j’accepte que l’on me juge sur mes raisonnements, mes intuitions, ou mes analyses. Je ne renie rien. Il y a parfois des erreurs factuelles que je ne corrige pas : par exemple, je ne vois pas venir Éric Zemmour en écrivant que sa candidature est une impasse. Je me suis trompé. Je laisse tout cela. Cependant, la somme des descriptions dans le détail, notamment de tout ce qui s’est passé au cours de cette crise sanitaire, est intéressante. Plus tard, si des historiens veulent voir comment on a pu vivre cette crise, ce livre est une photographie. Je me suis toujours vu comme une sorte de photographe de l’instant et je prends donc le risque de publier mes photos. Il faut faire une différence entre la photographie de précision et la photographie aérienne. Quand on fait un cliché aérien, on analyse l’évolution de la société d’une manière globale, donc il peut y avoir des erreurs… Dans notre monde, on se concentre souvent sur les détails. D’ailleurs, la vérification de l’information est très à la mode chez les journalistes et l’on entend souvent cettemêmequestion : «Quelles sont vos sources ? » Aujourd’hui, on doit sourcer des évidences, ce qui n’était pas le cas il y a quelques années et il suffit d’affirmer qu’il fait nuit à minuit pour s’entendre réclamer les sources... Qu’en pensez-vous ? C’est vrai. Je travaille en faisant une compilation de petits faits, mais en même temps je me laisse toujours porter par une intuition. Mon intuition peut être fausse, mais j’essaye de donner une perspective à ces puzzles. Quand vous les prenez d’une manière disparate, ils ne veulent pas dire grand-chose, mais si vous lisez attentivement les blocsnotes, vous remarquerez une ligne directrice. J’essaye de mettre en perspective un certain nombre d’éléments qui, pris séparément, n’ont guère de signification. C’est un exercice qui permet de dépasser l’immédiateté que vous dénoncez. Le maccarthysme ambiant n’existe-t-il pas aussi sur d’autres sujets, comme la fiscalité, l’écologie, l’immigration, ou même les logements sociaux ?

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