La Baule+

la baule+ Décembre 2022 // 37 Un film, c’est une PME à gérer : il faut gérer les ego, les acteurs, les techniciens, les difficultés, la météo…C’est un rôle de capitaine. « Le Petit Piaf » n’est pas un film comique, mais un film émouvant qui nous incite à réfléchir sur le sens de la vie et la transmission… Le cinéma ne change pas le monde, mais cela peut donner de la force à ceux qui veulent le changer. Sortir d’un film heureux, c’est comme avoir pris des vitamines, surtout lorsque l’on a vu de belles choses, pas d’une manière angélique évidemment, mais tout cela est important. J’aime sortir d’un film rassasié et regonflé. Parfois, il y a des films très durs. Les gens qui ont vu le film sont sortis avec une petite larme. Ce n’était pas de la tristesse, mais de l’émotion. Il y a plein de personnages qui gravitent autour de cet hôtel. D’ailleurs, le directeur de l’hôtel dans lequel nous avons tourné a aussi cette humanité et cette bienveillance à l’égard des gens avec lesquels il travaille. La base du film est assez simple. Ce n’est pas un scénario avec des gags qui s’enchaînent et il faut donc un vrai travail pour créer de l’émotion… Ce n’est pas une comédie, c’est un film d’émotion. C’est un film familial avec des personnages pittoresques. Il y a aussi la magie de la musique. Le premier scénario du film était très africain et je ne me sentais pas légitime pour faire cela. J’ai été séduit par l’idée de basculer l’histoire à La Réunion, parce que c’est la France. C’est une région très étonnante, très loin de la métropole, mais il y a les avantages de la France, comme la vaccination gratuite. On crache beaucoup sur notre pays, mais j’ai des amis qui étaient en Angleterre et en Italie, or ils devaient payer les tests au moment de la Covid. Mais vous payez aussi beaucoup d’impôts… Je participe, c’est vrai. Tant mieux. C’est pour cela que j’ai un peu de mal avec les exilés fiscaux... Je vais revenir au film. Il y a eu beaucoup d’évolutions dans le scénario. Le scénario s’écrit jusqu’au dernier jour du mixage. On a beaucoup travaillé avec les jeunes acteurs, parce qu’ils n’avaient jamais joué devant une caméra. C’est un travail très important que de fédérer tout ce monde pour avoir le ton juste. J’ai rencontré un tas d’acteurs formidables, il faut les diriger, et puis j’ai tourné dans des endroits vraiment sublimes. Je suis toujours touché par les personnages de mes films que j’essaie de défendre, même si je joue une ordure Dans vos films, il y a toujours des références à l’actualité… C’est vrai, je m’intéresse au monde, ça m’inquiète un peu parfois. J’ai sorti un livre de contes sur l’état de notre planète. Je me sens solidaire de tous ceux qui sont sur cette Terre. Je ne me sens pas du tout à part, je fais partie du monde. Je fais mes courses avec mon vélo électrique. Je suis comme tout le monde, j’ai simplement la chance de voyager un peu plus en première que la plupart des gens. Mais vous savez, même si vous êtes en première, si l’avion tombe, tout le monde tombe… J’aime les gens, je suis toujours touché par les personnages de mes films que j’essaie de défendre, même si je joue une ordure. Je n’essaie pas de le défendre, mais au moins de trouver ses raisons. Je dis toujours à mon fils que ce n’est pas parce que les gens ont des raisons qu’ils ont raison. Il est important de comprendre pourquoi les gens disent n’importe quoi et pourquoi il se passe des choses assez moches. Je ne suis pas du tout un révolutionnaire. Je déteste la révolution. C’est comme les utopies, je suis davantage pour l’évolution douce. Je n’aime pas les films qui me dérangent. Quand on a mangé quelque chose de mauvais, on vomit. C’est la même chose. Le cinéma que j’aime doit être roboratif, nous donner des vitamines. Il y a aussi une émotion dans la musique, qui est absolument formidable. Je ne suis pas musicien, mais j’aime la musique. Vos propos traduisent ce que pensent, non pas ceux qui sont de la génération de 68, mais de celle d’après 68… J’aurais été soixante-huitard, je serais au CAC 40. Tous les grands révolutionnaires ont fini PDG. J’avais une quinzaine d’années en 68. Nous avons toujours été ricaneurs avec mes camarades et nous voyions déjà le côté grotesque de la chose. Il y avait beaucoup de bêtises, il était aussi important de faire bouger les choses. C’est comme la Nouvelle vague. Je ne suis pas un fou de ce cinéma, mais il avait une raison d’exister parce qu’il fallait foutre en l’air les vieux et prendre le pouvoir.. Maintenant, j’ai davantage dans ma cinémathèque personnelle des films de Jean Becker ou de Henri-Georges Clouzot, que des films de Godard ou de Truffaut, c’est plus mon goût. Ces gens qui ont craché sur Claude Autant-Lara ont fait ensuite des films à la manière d’Autant-Lara. Je me méfie des films formalistes. Ce qui reste, c’est l’humain. Vous pouvez mettre des drones, mais, ce qui marche, c’est l’émotion et le rire. Vous avez cité Claude Autant-Lara, dont on sait comment il a fini politiquement. Alors, je vous demande si « Le Petit Piaf » aurait pu être réalisé par Marcel Carné ? Je vois très bien ce que vous voulez dire. Cela aurait pu être un film de Becker. J’ai beaucoup d’admiration pour le cinéma français de l’entre-deux-guerres et de l’après-guerre. On s’aperçoit que les cinéastes renommés tombent dans les oubliettes et que des gens dont on a dit beaucoup de mal, comme Gilles Grangier ou Denis de la Patellière, ont fait de très bons films qui restent. Finalement, une carrière se juge dans la tombe... Il y a sans doute un point commun entre le cinéaste, le journaliste et l’avocat : on ne juge pas les gens, on essaie de se mettre dans leur peau sans rentrer dans des camps… J’ai toujours considéré mon métier d’acteur et de metteur en scène comme un métier d’avocat, de journaliste ou de reporter. Dans beaucoup de films, je me suis projeté dans un personnage pour essayer de comprendre comment j’aurais réagi dans cette situation : si j’étais flic, si j’avais perdu mon travail, si j’étais né ailleurs dans une autre vie… Quand on est acteur, ce qui est formidable, c’est que l’on vit mille vies. Dans «Monsieur Batignole», je me demande ce que j’aurais fait en 42 en n’étant ni juif ni communiste… Résistant ? Ou de l’autre côté ? Ou peut-être les deux ? C’est assez juste, un acteur se met à la place d’un autre en se disant ce qu’il aurait été dans un autre contexte. On rentre par l’intérieur pour essayer de comprendre le Moyen Âge, la guerre en 40, la guerre dans les Balkans… On explore tout un tas de probabilités et d’éventualités. C’est pour cela que ce métier est formidable. Est-ce que l’on y trouve sa vérité ? C’est autre chose. Propos recueillis par Yannick Urrien.

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