La Baule+

la baule+ 26 // Décembre 2022 Société ► Comprendre ce fléau des temps modernes qu’est le burn-out Adrien Chignard : « La quantité de temps que l’on passe sur Instagram ou Facebook est directement liée à la quantité d’affect dépressif que l’on peut éprouver ». Adrien Chignard est psychologue du travail et des organisations. Spécialisé dans la prévention du stress et des risques psychosociaux au travail, il aide les plus grandes entreprises à faire face à des situations humaines complexes grâce à son cabinet de conseil Sens & Cohérence. Il est également conférencier et enseigne dans des universités françaises (Tours, Montpellier, Lille). Il intervient très fréquemment dans les médias sur les thématiques du burn-out et des risques psychosociaux. Dans son dernier livre, il réunit six expertes pour décrypter ce phénomène du burn-out. « Burn-out - Des histoires vécues pour le prévenir, l’éviter, s’en sortir. » d’Adrien Chignard est publié aux Éditions Mardaga. La Baule+ : Vous commencez votre livre en indiquant que la crise sanitaire a donné lieu à l’augmentation des cas de détresse psychologique et de burn-out. Est-ce la Covid, ou surtout le confinement, entre la peur distillée sur les chaînes d’information et les méthodes répressives, qui sont responsables de tout cela ? Adrien Chignard : On observe que c’est le délitement du lien social qui génère une détresse psychologique forte. Le premier rempart contre la détresse psychologique, c’est le soutien de ses pairs. Les confinements n’ont pas aidé, la crise sanitaire a précipité certaines situations qui étaient douloureuses, mais elle est rarement à l’origine de la création de ces problèmes de détresse psychologique. On expose durablement des êtres humains à des systèmes qui portent en eux leur toxicité La détresse psychologique est-elle la maladie des temps modernes ? Ce n’est pas la maladie, c’est l’antichambre de la maladie. C’est le terreau fertile pour y faire pousser des problématiques psychologiques. La personne qui vit une situation de détresse psychologique n’est pas à l’aise dans sa situation, mais elle n’est pas malade. On a une hyper psychologisation des choses qui voudrait que l’on soit tous un peu malade, mais ce n’est pas le cas. Ce n’est pas non plus une maladie des temps modernes car, si l’on remonte aux origines de l’homme, lorsqu’il sortait de sa caverne et qu’il rencontrait une bête sauvage, c’est évidemment un moment difficile et stressant, c’est d’ailleurs l’origine du stress, et l’exposition prolongée à des situations où l’on a l’impression d’avoir plus de contraintes que de ressources va générer des situations de détresse psychologique. Il en existe beaucoup plus qu’auparavant, puisque nous sommes dans des systèmes qui contraignent. Nous sommes dans une raréfaction des ressources, dans une logique d’économie, de mutualisation des fonctions. Donc, on expose durablement des êtres humains à des systèmes qui portent en eux leur toxicité et qui finissent par générer de la détresse psychologique et, parfois, des situations d’épuisement professionnel. Partout où l’on a délité le collectif, les problématiques de santé mentale explosent Tout le monde semble éprouver un sentiment d’injustice… Lorsqu’un commerçant s’endette pour ouvrir son magasin et qu’on lui interdit de le faire parce que l’accès handicapés n’est pas aux normes à trois centimètres près, il se plaint d’être victime d’une injustice… Il peut y avoir des choses qui sont désagréables, mais le caractère désagréable d’une chose ne la rend pas nécessairement injuste. Il ne faut pas faire la confusion entre ce qui est injuste et ce qui est désagréable. Il existe quatre formes de justice. Il y a la justice distributive, c’est la façon dont la richesse est répartie. La justice informationnelle, c’est la façon dont on dispatche l’information entre différentes personnes. Il y a aussi la justice interactionnelle, c’est le fait de traiter les uns et les autres en fonction de caractéristiques légitimes : c’est-à-dire que l’on ne va pas de discriminer les gens sur leur âge, leur genre, leur religion ou leur origine ethnique, mais on peut les discriminer sur leurs compétences ou leurs résultats. Il y a enfin la justice procédurale, c’est-à-dire le fait de décider à votre place de sujets qui vous concernent. Que chacun voit l’injustice à la lumière de son propre regard, c’est tout à fait logique. Bien entendu, la répartition de la valeur créée par l’entreprise ne fera jamais l’objet d’un consensus total, mais elle pourrait au moins faire l’objet d’un consentement. Quand on voit les écarts qui existent entre les plus petits et les plus bas salaires, il y a effectivement des modérations à avoir. Partout où l’on a délité le collectif, les problématiques de santé mentale explosent. Je vais prendre des exemples concrets de situations d’injustice : je n’évolue pas parce que je suis une femme, on préfère prendre Rémy plutôt que Mohamed à un poste, le fait d’être en situation de handicap m’empêche de prendre un autre poste… Je vais auditer des usines et des grandes entreprises et les motifs d’injustice sont quotidiens, surtout les conduites vexatoires. Ce sont des éléments qui génèrent un sentiment durable d’injustice. C’est mauvais pour les salariés, mais aussi pour les employeurs. Lorsque l’environnement est trop multiculturel, on essaye de s’entendre a minima sur le respect du droit du travail Ce rapport à la justice diffère-t-il selon nos origines sociales, culturelles, ou même nos opinions politiques ? Ce que vous dites est très juste dans la représentation que l’on peut se faire d’un monde juste et l’on voit effectivement, en fonction des populations, des approches différentes. Lorsque

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