La Baule+

la baule+ 24 // Décembre 2022 Nouveau Monde ► Pourquoi basculons-nous dans l’ère du digitocène ? La Baule+ : Le digitocène ne recouvre pas simplement un changement d’époque, c’est surtout un changement de civilisation. Qu’estce que cela signifie ? Johann Oriel : Nous vivons une bascule historique qui est une bascule équivalente à d’autres bascules très importantes dans l’histoire de l’humanité, comme l’invention de l’écriture ou de l’imprimerie, ou même l’invention du langage. Cela change énormément de choses dans notre manière de penser. Tout est bouleversé par cette nouvelle ère. L’anthropocène, c’est l’ère géologique dans laquelle on voit les traces de l’humanité et que l’on verra encore dans des millions d’années. J’estime que c’est un changement d’ère, car c’est la définition même du sacré, c’està-dire ce qui fonde notre civilisation qui est en train de changer, et nous allons aussi laisser des traces dans l’espace pendant des milliers d’années. En quelque sorte, on laisse des traces dans une nouvelle couche géologique en ce moment même. Lorsque l’on change d’ère, on ne s’en rend pas compte… Et c’est tout l’intérêt de cette réflexion. Il faut prendre une perspective beaucoup plus large. Lorsque la civilisation romaine s’est effondrée, les Romains ne se sont pas rendu compte de cet effondrement, c’était simplement une crise dans un quotidien. Peut-on signaler la fin de l’humanisme par l’impossibilité de tenir le moindre débat sans être accusé d’un terme en « isme » comme «complotisme » ou «conspirationnisme » ? Cette idée n’est pas la mienne. Elle est développée par l’historien israélien Yuval Noah Harari, qui travaille beaucoup sur l’histoire de l’humanité, et il explique que nous passons de l’humanisme au dataïsme. En faisant de gros raccourcis historiques, on peut dire qu’avec la Renaissance et l’arrivée de la science, on a remis en cause le christianisme en Europe qui était le paradigme dominant. La science a bousculé Dieu et le nouveau sacré est devenu l’homme, avec la naissance de l’humanisme. Puisqu’il n’y a plus de transcendance, on s’est basé sur l’homme et sa raison. On passe dans une nouvelle forme de religion, le dataïsme - je préfère parler de digitocène - où le nouveau sacré est devenu la donnée On est quand même resté dans la transcendance, puisque Dieu nous a créés à son image… Effectivement, la vision religieuse s’est étiolée et on a fondé nos institutions politiques sur un nouveau paradigme, le positivisme, c’està-dire ne plus dépendre de l’homme et de Dieu. C’est devenu une conviction personnelle. La pensée religieuse et monothéiste n’a pas été évacuée complètement de la société, mais avec le libéralisme et la démocratie, on s’est basé sur la raison. L’idée était de réfléchir sans faire appel à des conceptions divines sur une société qui fonctionnerait correctement. Ce qui est en train d’être remis en cause en ce moment, c’est l’homme. On passe dans une nouvelle forme de religion, le dataïsme - je préfère parler de digitocène - où le nouveau sacré est devenu la donnée. On fonde nos décisions sur la technocratie, des experts, des données... On a bien vu cela lors de la gestion de la Covid, il fallait avoir des statistiques pour gérer les situations. On est en pleine bascule dans ce monde digital. Tout est numérisé, il faut des données sur tout. Au cours de l’épidémie de la Covid, il y a eu un rapport parlementaire, publié en 2021, dans lequel il était très clairement indiqué qu’il fallait s’inspirer du modèle chinois. Évidemment, comme on est démocrate, on ne pouvait pas mettre en place le crédit social à la chinoise. Mais si l’on avait un système de surveillance très fin de la population, le confinement pourrait se faire maison par maison. Finalement, c’est votre téléphone qui est confiné et on vous appelle de temps en temps pour vérifier si vous êtes bien chez vous. Petit à petit, on est en train de basculer vers une société qui se numérise de plus en plus et nous devenons des statistiques, nous ne sommes plus des humains. C’est vrai, on ne peut plus débattre, puisqu’il est impossible de débattre démocratiquement des décisions qui sont faites par des experts qui manipulent des statistiques avec une science qui n’est pas accessible au commun des mortels. On tombe dans une forme d’autoritarisme technocratique et digital, malgré le fait que l’on conserve une apparence de démocratie. Pendant longtemps, dans l’histoire de l’humanité, l’homme était esclave. Il appartenait à son maître qui devait veiller à sa santé, à son repos et à son alimentation… Nos nouveaux Johann Oriel : « Le digitocène nous hypnotise et c’est la raison pour laquelle beaucoup de gens ne se méfient pas. » Johann Oriel est ingénieur informaticien en charge du développement d’une société de services en ingénierie informatique. Il est l’auteur d’un livre intitulé « La face cachée du web - Outil de liberté ou de contrôle » paru en 2013. Il vient de publier sur plusieurs sites une tribune consacrée à l’ère du digitocène qui commence : « L’anthropocène se termine, voici le digitocène. Avec les CBDC, Central bank digital currencies, les technocrates auront un contrôle quasi total sur nos vies. Vous pensez mal ? il leur suffira de bloquer votre compte en banque. Vous ne vous soumettez pas ? Qu’à cela ne tienne, une petite amende quotidienne vous remettra dans le droit chemin rapidement. Vous refusez tel job que les IA vous recommandent ? Voyons, ce n’est pas raisonnable, Monsieur ! Mais ça, c’est juste le sommet de l’iceberg. Car ce sont des pans entiers de l’économie qui seront pilotables à volonté. Trop de dettes ici ? Un petit haircut sur quelques millions d’épargnants et hop, on repart ». Ainsi, ce spécialiste en informatique et en intelligence artificielle annonce : « Le contrôle sera total grâce à la technologie numérique. Ce qui n’avait jamais été possible jusqu’ici. Il avait toujours fallu trouver des compromis. Comme les populations sont toutes désarmées dorénavant et comme les réseaux sociaux sont sous contrôle, il n’y aura pas de révolte possible ». En fait, nous entrons dans l’an zéro du dataïsme : «C’est encore plus profond qu’un changement de religion ou que l’avènement de l’écriture ou de l’imprimerie ». Selon Johann Oriel, « le défi va être de rester humain».

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