La Baule+

la baule+ 6 // Décembre 2021 La Baule + : Vous étiez aux premières loges lors de l’effondrement de l’Union soviétique, car vous étiez au cabinet de Mikhaïl Gorbatchev afin d’enseigner aux Russes l’économie de marché dans le cadre de la perestroïka. Comment les choses se sontelles passées ? Christian Megrelis : J’ai été consulté par des amis économistes de l’Académie des sciences de l’URSS pour promouvoir en Europe, auprès des chefs d’entreprise, la perestroïka économique, c’est-à-dire le programme de privatisation de l’économie soviétique. Pendant deux ans, j’ai organisé des conférences dans différentes capitales, en France, au Canada, aux États-Unis, en Angleterre, en Espagne, en Belgique et dans d’autres pays, pour demander à des chefs d’entreprise de venir écouter des responsables soviétiques qui allaient leur expliquer ce qu’était la perestroïka économique de l’Union soviétique. J’ai demandé à Raymond Barre de présider ces conférences et il a accepté très volontiers. Cela a duré un an et demi, entre 1989 et 1991. Nous avons ensuite créé un club pour les très grandes entreprises pour organiser des rencontres avec le président Gorbatchev afin d’évoquer les investissements étrangers en URSS. Ce club a fonctionné jusqu’en décembre 1991. Les plus jeunes résument la chute de l’Union soviétique à l’effondreHistoire ► Un conseiller de Gorbatchev raconte l’effondrement de l’URSS depuis le Kremlin Christian Mégrelis : « La chute de l’URSS a entraîné le plus grand pillage de l’histoire de l’humanité, tout à fait légalement… » Mikhaïl Gorbatchev s’était entouré d’un seul étranger pour le conseiller : le Français Christian Mégrelis, qui était en charge des questions économiques dans le cadre de la perestroïka. Christian Mégrelis avait un bureau au Kremlin et il a vécu en direct l’effondrement de l’URSS lors du coup d’État d’août 1991. À l’occasion des 30 ans de la fin de l’URSS, symbolisée par la démission de Mikhaïl Gorbatchev le 25 décembre 1991, Christian Mégrelis témoigne pour la première fois de ce qu’il a vécu à l’intérieur du cercle rapproché de l’un des hommes qui ont bouleversé la fin du XXe siècle. Christian Mégrelis, X, HEC, Sciences Po, est chef d’entreprise, essayiste et écrivain. Après quelques années au ministère de la Défense, il s’est orienté vers les marchés internationaux en 1970 et son groupe est installé en Russie depuis 1989. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages publiés aux ÉtatsUnis, en France et en Asie sur la géopolitique, les relations internationales et le christianisme. « Le naufrage de l’Union soviétique: choses vues », de Christian Mégrelis, est publié chez Transcontinentale d’édition. ment du Mur de Berlin en 1989, or il convient de préciser que c’est intervenu deux ans plus tard… La chute du Mur de Berlin, c’est une chose, la chute de l’Union soviétique c’est quelque chose de différent. Il y a deux ans d’écart. C’est Mikhaïl Gorbatchev qui a accepté qu’on laisse casser le Mur, parce qu’il aurait pu répliquer avec des mitrailleuses, mais les choses se sont bien passées. D’ailleurs, toute cette révolution s’est passée sans victimes et, dans l’histoire de l’humanité, il n’y a pas d’autre exemple d’empire qui se soit effondré sans faire un seul mort. L’URSS s’est effondrée, il n’y a pas eu un seul mort. L’armée n’a pas pris les armes, il n’y a pas eu de guerre civile... Cette révolution s’est faite par consensus. Est-ce aussi parce qu’ils ont été pris de court au moment de la chute du Mur de Berlin en raison de la célèbre bourde d’un ministre d’Allemagne de l’Est ? Celui-ci annonçait l’autorisation pour le peuple de passer à l’Ouest sans visa et un journaliste lui a demandé à partir de quand. Il était un peu perdu et il a répondu : maintenant... Quelques minutes plus tard, des centaines de milliers de personnes se sont ruées vers le Mur… Ce qui est encore plus incroyable, c’est que l’armée soviétique aurait pu réagir comme à Budapest. Mais elle n’a pas bougé, parce que Mikhaïl Gorbatchev ne leur a pas donné l’ordre de bouger. Il y avait des dizaines de milliers de soldats soviétiques en Allemagne de l’Est qui sont restés dans leurs casernes. Gorbatchev était acquis à l’idée de la démocratie L’objectif de Mikhaïl Gorbatchev était-il d’effectuer une transition en douceur pour amener tous ces pays vers l’économie de marché ? L’objectif était d’arrêter la mainmise du Parti communiste sur ces pays. Il connaissait bien de l’intérieur le système communiste, on le voit d’ailleurs aujourd’hui en Chine, il savait très bien que c’était la mainmise d’une centaine de familles sur le pays. Cela ne pouvait pas durer. C’était une petite oligarchie et il avait compris que l’on ne pouvait pas maintenir un grand pays du XXe siècle, et du XXIe siècle, avec un système pareil. Gorbatchev était acquis à l’idée de la démocratie. Son objectif était de progresser lentement, mais sûrement, vers un système démocratique. Il se rendait compte de l’inefficacité de l’économie soviétique et il voulait que cette économie se transforme en économie privée, y compris en faisant appel à des entreprises étrangères dans les domaines où les technologies étaient insuffisantes en URSS. L’objectif n’était pas de dissoudre l’URSS : pour Gorbatchev, l’URSS était un empire qui avait des siècles devant lui et il n’y avait aucune raison de dissoudre l’URSS. Il avait donné l’indépendance aux satellites, comme les Hongrois ou les Polonais mais, pour ce qui était le cœur de l’URSS, c’est-à-dire les grandes républiques d’Asie centrale, cette zone devait rester unie. Je travaillais directement au Kremlin, j’avais mon bureau Vous racontez le putsch de Moscou que vous avez vécu en direct au cours de l’été 1991 : que faisiez-vous à l’époque et où étiez-vous ? Je travaillais sur un programme de privatisation, le plan des 500 jours, avec l’Académie des sciences de l’URSS, avec des économistes russes de haut

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