La Baule+

la baule+ 26 // Décembre 2021 Sociologie ► La nécessité d’appartenir à un groupe social nous entraîne à suivre la majorité Roland Robeveille : « Nous avons besoin d’être reconnus par le groupe social dans lequel nous évoluons. » Sommes-nous vraiment nousmêmes dans notre vie quotidienne ? Adoptons-nous un positionnement comme nous le pensons, ou pour être en conformité avec le groupe social auquel nous appartenons ? Roland Robeveille a été responsable des ressources humaines et de la formation dans de grandes entreprises françaises. Chargé de cours à l’INSEEC, il intervient dans les domaines de la gestion des ressources humaines et du management de l’innovation. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages économiques et son dernier livre traite de la manipulation. Que l’on en soit conscient ou non, celle-ci fait partie de notre quotidien… Souvent collective, elle peut pourtant être individuelle et personnelle : elle intervient alors au sein de notre couple, de notre entourage familial ou amical, ou encore dans notre vie professionnelle. « Libre ! Ni conditionné, ni manipulé. Agir face aux manipulateurs de tout poil » de Roland Robeveille est publié aux Éditions Gereseo. La Baule + : Qu’est-ce qui vous a amené à travailler sur le conditionnement et la manipulation des masses ? Roland Robeveille : Ce sont deux personnages : Donald Trump et Boris Johnson. En observant leurs pratiques, je suis arrivé à la conclusion qu’ils utilisaient très mal ce qu’Edward Bernays avait théorisé dans les années 30, c’est-à-dire la manipulation des masses. À partir de l’observation de leurs pratiques, j’ai eu l’idée de travailler sur ce sujet pour que tout le monde ait une vision plus juste des pratiques manipulatrices. Nous sommes dans un système qui nous conditionne et, grâce à ce conditionnement, on s’insère dans une société et dans le monde. Le conditionnement nous permet, d’une manière assez simple, d’être dans le monde des adultes et d’être en relation avec les autres. On se crée toutes les conditions pour réduire notre espace de liberté Quel est notre espace de liberté, face au conditionnement permanent ? Au fur et à mesure de notre vie, on se crée toutes les conditions pour réduire notre espace de liberté. Il y a deux axiomes qui sont la base de tout : on ne peut pas ne pas communiquer et donc on ne peut pas ne pas manipuler. Cela signifie que dans toute forme de communication, nous cherchons à convaincre notre interlocuteur que ce que nous disons est la vérité. À partir du moment où l’on cherche à convaincre quelqu’un, il y a une forme de prise en main de la communication pour que l’autre adhère à ce que nous disons. Notre espace de liberté est forcément réduit, parce qu’au fur et à mesure que nous vieillissons, nous intégrons de mieux en mieux les aspects de la communication et de la manipulation. La liberté d’expression se heurte à la liberté individuelle, notamment sur les réseaux sociaux. Les avis sont de plus en plus tranchés, il y a de moins en moins de nuances et de remise en question. Et les jusqu’au-boutistes et les gens qui diffusent des idées complotistes ont de plus en plus de force, puisqu’ils rencontrent de moins en moins de personnes capables de leur répondre factuellement. Cela laisse libre cours à l’imaginaire et aux fausses informations. Le problème, c’est que la fausse information du lundi devient la vraie information du mardi : ainsi, celui qui avançait en janvier 2021 l’idée d’un pass sanitaire était alors traité de complotiste… Les chaînes de télévision spéculent sur la moindre information sans se pencher sur la réalité scientifique des choses. On sait que ce virus ne sera pas terminé dans les mois qui viennent en raison des différents variants et, sans être complotiste, on est à peu près certain que le système de santé sera dans une situation très difficile. On découvre que les vaccins ont un taux de satisfaction de 70 à 90 %, mais que certains variants ne sont pas pris en compte. Donc, cela pose une vraie difficulté de communication avec des médecins qui ont des avis contradictoires. Les gouvernements se prennent les pieds dans le tapis, avec la question des masques par exemple. Donc, ils communiquent comme ils peuvent, en ne maîtrisant rien du futur. La liberté individuelle serait de plus en plus restreinte dans le futur pour réguler ce virus, mais surtout pour réguler les conséquences économiques et sociales de ce virus dans les années qui viennent Votre livre s’inscrit totalement dans l’actualité… Oui. Les lois qui sont sorties dans tous les pays dumonde, pour lutter contre ce fameux virus, sont à peu près toutes liberticides, puisqu’elles restreignent la liberté des personnes. J’ai écrit ce livre en pleine période de confinement, en identifiant que la liberté individuelle serait de plus en plus restreinte dans le futur pour réguler ce virus, mais surtout pour réguler les conséquences économiques et sociales de ce virus dans les années qui viennent. Revenons sur cette notion d’espace de liberté, qui est tellement d’actualité : on ne s’appuie pas sur notre intuition, mais sur la norme du groupe. Vous citez cette expérience scientifique, qui a été menée à plusieurs reprises, avec de simples participants et des comédiens. Le professeur qui menait la démonstration proposait des cartons de couleur. Les personnes présentes devaient donner la couleur des cartons. Or, les comédiens, les premiers interrogés, répondaient par une autre couleur. Le quatrième participant, qui n’était pas un comédien, ne voulait pas paraître hors du groupe et être marginal: il s’est mis à douter et il a cité la fausse couleur… 70 % des gens répondent faussement, en voulant simplement s’intégrer dans la norme. Nous nous insérons dans un groupe parce que l’on se reconnaît dans les normes de ce groupe. Nous avons besoin d’être reconnus par le groupe social dans lequel nous évoluons. On trouve une certaine satisfaction à évoluer dans un groupe social, mais il y a des inconvénients, puisque nous devons nous conformer aux normes, aux habitudes et aux rituels de ce groupe. C’est aussi les difficultés que l’on peut rencontrer face aux normes sociales de certaines religions. La liberté a un coût et, être libre, c’est vraiment un combat permanent Le plus important n’est pas qu’une majorité de gens pensent quelque chose, mais pensent qu’une majorité de gens pensent quelque chose... Exactement. Dans un environnement politique traumatisant, comme il y a quelques années le phénomène des Bonnets rouges, c’était intéressant, parce qu’ils étaient relativement minoritaires et, pourtant, cela a eu une action extrêmement importante qui a traumatisé le gouvernement de François Hollande. Il savait que c’était minoritaire, mais il avait peur d’une propagation du phénomène. Et il avait surtout peur qu’une majorité de Français soient convaincus qu’une majorité de Français étaient pour les Bonnets rouges... Dans la même trame, il y a eu les Gi-

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