La Baule+

la baule+ 18 // Décembre 2021 La Baule + : Quels sont les objectifs du Centre d’études et de réflexion sur le monde francophone ? Ilyes Zouari : Nous réalisons des travaux de recherche sur l’ensemble du monde francophone et sous ses différentes dimensions (économique, démographique, culturel et géopolitique). Nous nous adressons à un large public, en ciblant un certain nombre d’acteurs économiques et politiques de premier plan à travers l’ensemble du monde francophone. Un territoire francophone, c’est tout simplement un territoire où l’on peut vivre en français Quelle est la définition du monde francophone ? Ce qui fait notre particularité par rapport à d’autres organismes plus oumoins officiels, c’est que nous sommes attachés à une définition claire, crédible et la plus sérieuse possible, en dehors de tout calcul politique. Pour nous, un territoire francophone, c’est tout simplement un territoire où l’on peut vivre en français. On intègre uniquement les pays dans lesquels le français est la langue de l’enseignement, des affaires, des médias ou de l’administration, seule ou avec une autre langue locale. Cela fait un total de 33 pays dans le monde et nous n’intégrons que les parties de pays qui sont vraiment francophones. Par exemple, les parties flamandes de la Belgique ou les parties anglophones du Canada ne sont pas intégrées. Au final, cela totalise 524 millions d’habitants, ce qui en fait l’espace le plus Géopolitique ► La puissance économique passe par la puissance linguistique Ilyes Zouari, président du Centre d’étude et de réflexion sur le monde francophone : « Le français est la langue la plus apprise au monde après l’anglais. » Il y a une guerre souterraine qui fait beaucoup de dégâts, mais dont on parle peu : c’est la guerre des langues. La langue française est l’une des plus puissantes dans le monde, car c’est la deuxième la plus apprise après l’anglais. Cette force du français représente une puissance économique pour le monde francophone, mais aussi un attribut de souveraineté et d’indépendance pour les pays francophones. Pour la France, c’est évidemment un symbole de puissance sur le plan culturel, diplomatique, politique et économique. Depuis quelques mois, on assiste à une offensive forte des Anglo-saxons contre la langue française en Afrique. Au Maroc, le gouvernement britannique vient de mettre des gros moyens pour développer le British Council, en annonçant clairement que l’objectif est de remplacer l’utilisation quotidienne du français par l’anglais. Nous évoquons cette guerre souterraine avec Ilyes Zouari, président et co-fondateur du Centre d’étude et de réflexion sur le monde francophone (CERMF). Diplômé en Gestion des affaires internationales, il s’intéresse aux questions géopolitiques, démographiques ainsi qu’au monde francophone. Spécialiste de ce dernier, conférencier et auteur du « Petit dictionnaire du Monde francophone » (L’Harmattan), il a publié divers articles en la matière. Il a également été administrateur de l’association Paris-Québec. dynamique au monde sur le plan démographique, avec une croissance de 2,3 % par an. L’espace francophone a dépassé il y a quelques années l’espace hispanophone, qui compte 470 millions d’habitants aujourd’hui, et il y a aussi l’espace arabophone avec 450 millions d’habitants. Vous évoquez des pays où l’on peut vivre au quotidien en français, c’est-à-dire dans son travail, ses loisirs ou dans ses rapports avec l’administration, par exemple le Maroc. Mais il y a aussi des pays que vous n’intégrez pas dans votre calcul et où l’on peut toujours se débrouiller en parlant français… Ce n’est pas pareil. Il y a des pays qui sont souvent présentés comme francophones, mais à tort, comme la Roumanie ou le Liban. Certes, dans ces pays, vous trouverez un nombre non négligeable de personnes qui pourront vous aider en français, mais vous aurez toujours besoin d’être aidé par quelqu’un, notamment pour traduire les documents officiels ou pour pouvoir vivre une vie normale. Donc, ce ne sont pas des pays que l’on peut considérer comme francophones. D’ailleurs, n’oublions pas que le français est une langue mondiale, puisque c’est la langue la plus apprise au monde après l’anglais. C’est la seule langue à avoir une pénétration significative dans les systèmes éducatifs dans les pays des cinq continents, ce qui fait que vous trouverez toujours des gens qui parlent français pour vous aider. Dans ces pays, il y a des pays plus francophiles que d’autres, comme le Liban, la Roumanie, la République dominicaine ou le Costa Rica, où le français est obligatoire dès le collège. Mais ce ne sont pas des pays francophones, parce que ce n’est pas la langue de l’administration et des affaires. Le français n’est pas la langue la plus parlée dans le monde, mais c’est la plus apprise en langue étrangère : par exemple, il y a eu longtemps davantage d’hispanophones que de francophones pour la langue maternelle, alors que l’espagnol a toujours été beaucoup moins appris que le français… Si l’on veut définir le poids réel d’une langue, l’aspect maternel de la question n’est pas forcément le seul qui doit être pris en compte. L’espace géographique et démographique de la langue française est bien plus important que l’espace hispanophone puisque le français est parlé dans différents pays dans lesquels existent différentes langues maternelles, mais dont les populations ont un recours presque quotidien au français. Je me réjouis de voir que certains milieux économiques commencent à comprendre cela en prenant leurs distances avec les chiffres involontairement trompeurs de l’Organisation de la francophonie, qui annonce toujours 300 millions de francophones: or le MEDEF, lors de sa première rencontre économique intervenue entre les différentes organisations patronales de l’espace francophone, a utilisé le chiffre de 524 millions d’habitants pour présenter l’importance du monde francophone. Si l’on rajoute à cela les personnes qui, à travers le monde, ont une connaissance plus ou moins importante du français, on peut atteindre les 900 millions. En Italie, 70 % des lycéens apprennent le français, il ne faut pas l’oublier. Nous avons une classe politique qui n’est pas du tout à la hauteur de ses responsabilités Lorsque vous voyagez, peu importe où vous allez, que ce soit dans une très grande entreprise ou dans un ministère, vous trouverez toujours quelqu’un qui parle français. Donc, après l’anglais, c’est la langue la plus étendue… Le français est une grande langue. L’espace francophone connaît une émergence démographique et économique, mais le problème, c’est le désintérêt manifeste des autorités françaises pour faire respecter son statut de langue officielle dans les différentes organisations internationales. Au sein de l’Union européenne, le français est marginalement utilisé, alors qu’il suffirait d’un simple claquement de doigts pour que le français soit de nouveau respecté dans son statut de langue officielle ! Il suffit de le demander... Mais nous avons une classe politique qui n’est pas du tout à la hauteur de ses responsabilités. Nous devrions nous inspirer de l’exemple des Québécois ou des Africains francophones, qui sont bien plus sérieux en la matière. Concrètement, quand un ministre français reçoit une lettre de Bruxelles en anglais, il devrait la mettre à la poubelle…

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